avec d'autres amateurs d’oiseaux sur les chemins de planches,
en épiant là où les grandes migrations font leurs nids printaniers,
et s’installent dans leur routine familière
d'élevage et de sevrage. Nous sommes ici
pas tant pour apprendre ou désapprendre
des leçons que nous ne connaissons pas déjà, mais simplement
pour nous perdre dans l'observation, les cris étranges,
les croassements et autres bruits de hochet, le dépoussiérage
des ailes dans la brise des marais avec les feuilles et les chardons.
Une part de moi observe la danse et la joute nuptiale
des cigognes et des aigrettes, tandis que l’autre part de mon esprit
s'envole vers la guerre russo-ukrainienne à l'autre bout du monde,
ce « massacre irrationnel », comme disent les journalistes,
alors que c'est horriblement rationnel, une véritable intention meurtrière,
l'artillerie qui rase les maisons de millions de personnes,
la vieille chachka qui se fraie un chemin vers la Mer
Noire. C'est l'agissement des hommes qui me sépare de la vie
sauvage que je suis venu voir ici. Je regarde les cigognes très concentrées
au moment de se reproduire. Les becs claquent
et taillent dans le duvet du cou de leurs partenaires,
c’est peut-être un rituel lors de l'accouplement.
Je n'ai pas dit un mot gentil de toute la matinée
à celle avec qui je me suis uni pour la vie. Elle ne s’est pas non plus
tournée vers moi. Ni détournée de moi. Comme beaucoup d'entre nous,
elle garde une neutralité calculée, une distance raisonnée.
Pourquoi sommes-nous ici ? Pour arpenter le circuit de la promenade,
les planches de cèdre nous portent au-dessus des marécages,
elles nous permettent de combler la distance entre ces
êtres de chair avec leurs cœurs et leurs esprits calculateurs,
et ces créatures ailées perdues dans l’instant
présent de leur accouplement, sans presque faire attention à nous.
Michel Corne. Accouplement des cigognes, des aigrettes et des humains (traduction), 8/2022.
Neil Shepard. Mating Behaviors of Storks, Egrets, Humans (texte original), 2022.
Lesia. Moonlight Atop the Larch Tree, 2017.
Commentaires
Enregistrer un commentaire