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Vénus et l'arche

Le missile à lancer un missile
était presque un secret.
Deux hommes avec un doctorat ont été choisis
et ont reçu les instructions pour le remplir,
avec une centaine
d'insectes soigneusement comptés,
trois serpents assez récents
enroulés dans un cube,
exactement cinquante animaux marins
dans des cuves, les documents requis,
vingt barres de nourriture, dix traitements sommaires,
des verrous spéciaux, quatorze rats blancs,
quatorze rats noirs, un sac de terre,
qui ont tous été enfournés à bord avant
que la chose ne jaillisse du désert.

Et le missile qui lançait
un missile se transforma
en un merveilleux ballon scientifique,
qui se balançait et flottait
dans les brumes de Vénus, puis sombra
soudainement comme un grain de raisin bien charnu,
suintant avec la gravité pour se blottir
plus bas contre cette forme triomphante
de l'espace. Les deux hommes ont envoyé un signal
vers la Terre, disant à leur continent
VENUS EST VERTE. Alors, des défilés se sont formés,
les présentateurs sur Terre ont bruyamment passé
une bonne quinzaine de minutes là-dessus, et ont même
raccourci leur bulletin météo.
Mais les nations rivales, furieuses et mielleuses,
ont déclenché leurs plus belles explosions nucléaires,
et la dernière guerre fut faite sur Terre.
L'endroit n'était que cratères de tous côtés,
et s'effondra jusqu'à son premier crâne,
déversant forêts, océans, os
séchés et néons, le tout tombant dans
l'oubli comme une pierre usée.

Ces deux hommes sont sortis pleins d'espoir
sur leur planète vide et chaude
avec machines, rats, cuves,
boîtes, insectes et ce lot curieux
de trois serpents assez récents,
pour faire les essais qu'ils étaient censés faire.
Mais le septième mois, les cages
sont devenues petites, trop petites pour les observations,
trop étroites pour se supporter. Les rats étaient de grosses
choses grises qui couraient
contre le grillage, et les serpents fabriquaient œufs
sur œufs, et même les poissons ont commencé
à se tamponner dans l'eau car ils proliféraient
de tous côtés dans leurs cuves.
Alors les hommes se sont résignés, et ont ouvert
le sac de terre, défait le verrou de chaque boîte,
et ont relâché toutes les animaux
pour qu'ils vivent sur Vénus, ou en tout cas se cachent
dans les rochers. Les abeilles ont essaimé dans l'air,
laissant un pollen chaud glisser
de leurs ailes sur l'herbe.
Les poissons ont battu des nageoires vers un petit bassin,
et les rats ont démêlé leurs poils,
puis ont glissé par-dessus le vestibule
du ballon devenu trop étroit. Des arbres ont surgi
du lichen, la roche est devenue un parc,
où, même sous les étoiles, des choses se frôlaient.
Puis, dans le nouvel entrejambe sombre
de la planète, cette saillie d'air où des serpents
s'accouplaient et des rats se frottaient dans le délabrement,
c'est devenu vif et bruyant avec
une sorte d'émerveillement dans la solitude de l'air.

Vieux et flétris, nos deux docteurs
venus de Terre, boitillaient lentement
vers leur ballon vide, pleurant seuls,
sans comprendre, avec la troublante impression
de ne pas avoir fait ce qu'ils auraient dû,
tandis que d'innombrables poissons s'agitaient,
les eaux grossissaient, la végétation grandissait,
et les rats heureux fonçaient
à travers les forêts ne faisant qu'une,
aboyant comme des chiens, du haut
des cieux. Mais les deux hommes,
en ce dernier matin de mort, avant
les premières lueurs, ont regardé le sol
de Vénus, son rivage amer,
et se sont dit : « C'est la fin.
C'est le dernier des hommes comme moi. »
Ils virent alors, dans la brume
de Vénus, deux créatures aquatiques
aux jambes étoilées s'arrêter puis ramper
du ventre de la mer.
Et, du parc de la planète
ils entendirent le fruit nouveau tomber.
Michel Corne. Vénus et l'arche (traduction), 5/2014.
Anne Sexton. Venus and the Ark (texte original), To Bedlam and Part Way Back, 1960.
Lire les textes en parallèle et les notes de traduction.

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