Voyelles

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d’ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides
Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
— O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux !

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Arthur Rimbaud. Voyelles, 1871.

Caractéristiques

Titre	Voyelles
Auteur	Arthur Rimbaud
Date	1871
Mouvement	Symbolisme
Genre	Poésie lyrique
Thème	Renouveau poétique
Forme	Sonnet (revisité)
Structure	- 2 quatrains, 2 tercets en vers réguliers - v. 1-2 : annonce des voyelles et de leur rôle futur par transmutation poétique en couleurs (alchimie) - v. 3-4 : (A) agitation des voyelles (mouches) dans l'ombre et la puanteur - v. 5-6 : (E) éveil des sens avec candeur et fierté (vapeurs d'alcools ou frissons de plaisir) - v. 7-8 : (I) naissance des émotions, voir excessives (ivresse ou rires et colère) - 3ème strophe : (U) consommation répétée et déterminée de la source de plaisir (absinthe ou coït) - 4ème strophe : (O) extase, plénitude et illumination (hallucination ou orgasme) - Longue phrase, entrecoupée de nombreuses ponctuations, qui participent à la déconstruction poétique
Mètre	Alexandrins, dont plusieurs vers sans coupe à l'hémistiche
Rimes	- Rimes riches ou léonines, qui confèrent rythme et unité - Inversées dans la 2ème strophe (ABBA BAAB CCD EED), en rupture avec un sonnet classique - Essentiellement féminines, non respect de l’alternance des genres
Vers notables	A, noir corset velu des mouches éclatantes Qui bombinent autour des puanteurs cruelles

Figures de style

Allitérations	En « v » : vibrements, divins, virides, renforcée par l'assonance en « i »
Antithèses	- Opposition des strophes 1/2 et 3/4 par les couleurs : noir/blanc et rouge/vert - Éclatantes/puanteurs, craché/belles, rire/colère, vibrements/paix, strideurs/silences, qui cassent l'unité poétique
Assonances	- En « an/en » : 17 occurrences qui confèrent une continuité sonore (1211 2122 101 120) - En « a/oi » : A, noir - En « e » : E, candeurs, vapeurs - En « i » : I, rire, ivresses, pénitentes - En « o/on » : O, clairon, mondes, oméga, rayon, violet
Enjambements	- Golfes d'ombre, qui annonce la transition du noir au blanc - Qui bombinent, sans la colère, que l’alchimie, qui participent à la destructuration du poème
Hypallages Associations	- Mouches éclatantes = voyelles qui apportent lumière et couleurs - Puanteurs cruelles, golfe d'ombre = le monde, y compris celui de la poésie, insupportable sans la couleur des voyelles - Candeurs des vapeurs = vapeurs d'alcool qui excitent (innocemment) l'odorat - Frissons d'ombelles = frissonnement du corps ou de l'esprit - Ivresses pénitentes = excès et culpabilité - Vibrements divins = jouissance physique ou intellectuelle - Paix des rides, fronts studieux = apaisement, répit, concentration du poète
Néologismes	Bombinent (bourdonnent), vibrements (vibrations), strideurs (sons stridants), qui renforcent le renouveau poétique
Oxymore	Ivresses pénitentes, qui assure la transition entre le rouge (ivresse) et le vert (paix)
Personnification	Vos, qui représente les voyelles et accentue leur importance
Symboles	- A = forme de la mouche (noire) vue de dessus - E = blanc des glaciers, des rois, des ombelles - I = rouge (pourpre) du sang, du rire, des lèvres, de la colère, de l'ivresse - U = V latin = vert des mers virides, des pâtis - O = bleu + rouge = violet, dernière couleur de l'arc-en-ciel, dernière lettre de l'alphabet grecque (oméga), forme du clairon